Delphine Bertholon - La Baronne perchée – Buchet Chastel - 2025 - 237p - 20,50€

Billie en a marre de compter pour des prunes. Quoi de mieux que de disparaître pour attirer l'attention de ceux qu'elle aime ? Surtout celle de son père complètement à la ramasse.
Elle prépare méticuleusement son plan inspiré par la lecture du fameux livre de Calvino Le Baron perché. Son refuge d'altitude dans un parc d'accrobranche abandonné va lui permettre de mesurer sa connexion à la nature. Du chant des oiseaux aux couchers de soleil flamboyants, le temps s'étire. Billie doit gérer sa solitude tout en faisant des plans sur la comète. Une autre arborescence se dessine au fil des pages, celle de son histoire familiale. Qui est donc cet inconnu qui rôde dans le bois à la nuit tombée ?
Avec justesse et délicatesse, Delphine Bertholon nous invite à fuguer avec Billie, à grimper l'échelle de corde et l'accompagner dans sa cabane improvisée. Prendre de l'altitude, éprouver le vertige, réfléchir, ruminer la colère, abolir sa transparence supposée, exister et lever enfin le voile sur l'absence de sa mère. Il est très difficile de parler adolescent sans en faire trop, d'éviter la bonne parole moralisatrice. J'avais déjà beaucoup aimé l'approche de l'autrice dans Dahlia, sa sensibilité aux choses ordinaires, sans jugement. Delphine Bertholon réussit encore une fois avec brio à créer une famille bancale, attachante, qui nous ressemble. Ici, pas d’effets de manche, mais de la sincérité. C'est ce qui fait toute la force de ce roman habilement construit. Toutes ces références littéraires en filigrane sont délicieuses. Ce livre est aussi un formidable écho aux adolescent.e.s que nous avons été, à notre révolte contre les non-dits, à la quête de nos racines, à tous les chemins invisibles que la parole délivre, à la lumière qui revient.
Extrait :
Il était tard maintenant. Elle commençait à avoir faim et entreprit d'allumer le réchaud. Il faisait sec et pas si froid que ça ; elle savait qu'elle aurait dû économiser l'eau et le gaz pour des nuits moins clémentes, se contenter d'une pomme et de quelques amandes, mais c'était sa crémaillère, il fallait fêter ça. Elle avait rêvé de ces nouilles tout l'après-midi et, après ces longues semaines d'organisation, elle méritait bien une récompense. Elle s'empara de son unique casserole, versa le quart d'une bouteille dedans et alluma le réchaud grâce à un briquet rose qu'elle avait piqué à son père. La maison en était pleine, de briquets ; celui-ci ne lui manquerait pas plus qu'un autre. Il les perdait sans cesse et rien ne l'énervait davantage que de ne pas trouver de feu. Ca pouvait même le rendre dingue, si bien qu'il finissait par allumer sa cigarette directement à la gazinière. Billie avait horreur de le voir faire, elle avait toujours l'impression que sa chevelure trop longue risquait de s'enflammer.
Tandis que l'eau chauffait, elle se concentra sur son nouvel environnement. Le souffle du vent glissait le long des chênes, des pins et des aulnes, donnant à la cabane l'allure d'un petit cocon fragile qui se balancerait au centre de l'univers. Cordages, ponts et poulies grinçaient en mélopée inquiétante mais, pour Billie, tous ces bruits n'avaient rien d'effrayant. Elle savait de quoi il s'agissait et si l'idée d'imiter Côme Laverse du Rondeau lui était venue à l'esprit si spontanément, c'est qu'elle n'était pas novice en la matière. Dans leur vie d'avant, quand elle était petite et qu'ils habitaient encore le Pays basque, Léo l'emmenait souvent bivouaquer dans la Rhune ou la vallée de Baztan. Une nuit, leur tente avait failli être piétinée par des chevaux sauvages. Ils avait vu des vautours, s'étaient perdus sous l'orage et avaient dû s'enrouler dans les couverture de survie. Ils avaient souvent eu soif, faim et froid. Les conditions dans cette cabane ? C'était la vie de château.
Quand le contenu de la casserole se. mit à bouillir, Billie ouvrit l'opercule du pot de nouilles instantanées puis le sachet d'épices (saveur "Poulet Teriyaki"), y versa l'eau bouillante et referma le couvercle en aluminium. Elle coupa le réchaud qu'elle rangea avec précaution dans le coin le plus sûr, puis le recouvrit d'une bâche en plastique avec le reste des ustensiles de cuisine. Elle attendit que le plat refroidisse pour y plonger sa fourchette. Ravie, elle porta les nouilles soyeuses à sa bouche. En se brûlant la langue, elle eut comme chaque fois, l'impression d'être à la cinquante-huitième minute de Ponyo sur la falaise. Les nouilles instantanées, c'était carrément un truc magique. Elle espérait s'endormir ensuite avec la même facilité que la fillette du dessin animé...
Tags
#delphinebertholon #labaronneperchee #buchetchastel #lettresinfuses #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #coupdecoeur #italocalvino
Passerelle gourmande ❤︎
Résister aux escargots
Italo Calvino - Le Baron perché - Gallimard jeunesse - 2021- 400 p - Traduction Martin Rueff - 8,00 €
Le 15 juin 1767, à Ombreuse, près de Gènes, en Ligurie Cosimo, Côme Laverse du Rondeau, qui a à peine douze ans, se révolte contre sa vieille famille noble un peu déchue. et surtout contre sa soeur, Baptiste et ses lubies culinaires. Elle est spécialiste des croquettes au foie de rat, des pattes de sauterelles, des queues de porc rôties. Elle prépare avec un malin et sadique plaisir des escargots sous maintes formes pour les déjeuners en famille. Comme, ce jour-là, elle est parvenue à décapiter des escargots pour piquer ces têtes molles de petits chevaux avec un cure- dents, Côme refuse de manger une fois de plus ces mollusques, et est chassé de la table. Il monte alors dans un chêne du jardin familial, comme les garçons de son âge sont habitués à le faire. Mais, contrairement aux autres garçons, il ne va jamais en descendre.
🐌 Révisez vos classiques ! 🐌
Le bivouac organisé du petit escargot et de sa maisonnette - Vous l'aurez en tête un bon moment...
Comments